Après une nuit dans un hôtel miteux à Kuala Lumpur, nous atteignons Bukit Lawang après 4 heures de route. L’occasion de nous faire prendre conscience que pendant nos 2 mois de voyage, nous serons dans un tout autre monde. Ici, pas d’autoroutes, juste des routes à double sens et parfois même des routes non goudronnées où tout un chacun décide à tout moment de dépasser l’autre quitte à être quatre de front.. 90 km prennent 4 heures de voiture … c’est dire ! Les maisons sont toutes petites, les enfants jouent et courent juste à côté de la route où un ballet incessant de voitures, camions (avec les noix d’huile de palme essentiellement), bus et motos se mélangent (max. 40 à 90 km/h, plus serait suicidaire !).
Bukit Lawang, épicentre de l’huile de palme
Bukit Lawang est connu pour ses orangs-outangs et plus particulièrement pour sa réserve naturelle et son centre de réhabilitation (qui aujourd’hui n’est plus actif). Dans cette réserve, une partie des orangs-outangs sont semi-sauvages, l’autre partie est totalement sauvage et est née dans la jungle. Les orangs-outangs semi-sauvages ont été sauvés de la déforestation massive qui sévit en Indonésie. Il n’y a donc plus que trois endroits où les orangs-outangs sont protégés et ne risquent pas de perdre leur habitat : Bukit Lawang, Ketambe et Borneo.
L’Indonésie est le plus gros producteur d’huile de palme au monde. Tout le long du trajet vers Bukit Lawang, nous avons pu nous rendre compte du spectacle désolant du commerce d’huile de palme: des hectares d’arbres sans plus aucune vie en-dessous… les palmiers à huile ne poussent que dans les forêts primaires et nécessitent donc d’office un défrichage pour être planté … ce défrichage se fait à sec ou en brûlis, posant de gros problèmes de pollution (à certaines périodes, il n’est même plus possible de se déplacer dans ces zones tellement la fumée est forte), générant de grandes quantités de gaz à effet de serre. De plus, chaque palmier nécessite à lui tout seul 10 litres d’eau par jour. Quand on voit l’étendue des arbres, on se demande où est puisée toute cette eau.
Cette huile est sans doute pertinente pour tout ce qui est des fritures (très répandus dans les pays du Sud) mais devient une totale aberration dans la mesure où elle n’est pas utilisée à cette fin. En trop forte consommation, en plus de détruire des écosystèmes indispensables à la vie sur terre, elle est aussi source de maladies cardiovasculaires et d’obésité.
Deux jours dans la jungle
Il ne reste plus que 70 000 orangs-outans dans les forêts d’Asie du Sud-Est. 7.000 sont aujourd’hui recensés dans la réserve naturelle de Bukit Lawang. La population y est en augmentation mais pour les orangs-outangs hors de cette zone, les risques de braconnage sont énormes et la population y est en grand danger.
Nous avons passé 2 jours en jungle à découvrir ce lieu unique où une faune et une flore riche et diversifiée s’y développent. A contrario, les champs de mono-culture d’huile de palme sont de vrais déserts biologiques.
Plus de 200 guides (“rangers”) sont officiellement reconnus pour accompagner les touristes mais aussi pour étudier et recenser les orangs-outangs dans la réserve naturelle. Bukit Lawang vit quasi essentiellement du tourisme. J’avais énormément de craintes de tomber dans un piège à touristes où les guides pousseraient les orangs-outangs vers nous mais j’ai été rassurée. Chaque guide que nous avons croisé était très respectueux des différents animaux rencontrés (nous avons aussi vu des toucans, serpents, singes de Thomas, macaques, paons, …). Même s’ils savent que chaque touriste vient dans l’espoir de voir un orang-outang de près ils ne font pas tout pour qu’on les voit.
Le premier jour, nous avons été très chanceux. Nous avons croisé 7 ourangs-outangs (dixit “le peuple de la forêt”) dont « the big one » (la mâle), la femelle avec son bébé mais aussi Mina (et son histoire si particulière – voir encadré).
Ces animaux nous ressemblent tant (si on s’en approche trop on pourrait être touché par leurs éventuelles maladies et vice versa tellement nous sommes proches d’eux génétiquement) mais arrivent à vivre en totalement harmonie avec la nature … ce que nous ne sommes plus capables de faire aujourd’hui, nous, les « bule-outang » (càd les humains blancs). Ils sont beaux, magestueux, puissants avec un regard si doux. A leur contact, vous comprenez d’autant mieux l’importance de ne plus consommer d’huile de palme, même la Fair Trade (qui est un pur mensonge car on est de toute façon obligé de détruire la forêt primaire pour faire pousser un palmier à huile, qu’il soit Fair Trade ou pas !) et dont une majeure partie est d’ailleurs destinée aux biocarburants.
En discutant avec notre ranger, Wandy, on comprend à quel point le sujet est complexe. D’un côté, l’huile de palme fait vivre un grand nombre d’habitants de Sumatra mais de l’autre ils savent au combien ce commerce est destructeur de leur habitat …
Une nuit humide au son de la jungle
Nous avons eu l’immense chance de dormir une nuit dans la jungle (un rêve de longue date). Notre logement rudimentaire (un abri, une moustiquaire et un matelas) juste à côté d’une petite rivière nous place directement dans cette ambiance unique de la jungle : un varan passe par là, des singes de Thomas attendent de trouver de quoi manger, l’humidité (tout est sans cesse humide), une odeur typique (« maman, la jungle ça pue » me dira même Una), un son indescriptible… mais aussi un des meilleurs repas depuis notre arrivée avec un matériel de base très limité.
Les guides sont très respectueux et ne laissent aucun déchet derrière eux. A chaque repas, ils utilisent des ustensiles réutilisables ou des feuilles de bananiers et/ou un papier compostable pour y mettre notre lunch (le traditionnel Nasi goreng). Nos repas sont aussi et avant tout tournés sur les fruits locaux : ananas, fruits de la passion, pastèque (jaune ou rouge), raboutan (sorte de litchi)…un délice pour les papilles.
Notre campement pour la nuit en jungle
Il est clair que cette expérience nous ramène à nos questionnements profonds qui nous ont attirés vers l’Indonesie. Aujourd’hui, plus que jamais, cette question perpétuelle que j’ai en tête « que peut-on faire de plus à notre échelle pour changer le monde » résonne dans ma tête. Nos choix d’Occidentaux pourris gâtés a sans conteste des conséquences plus loin de chez nous. Cette première expérience me le confirme sans conteste.
L’histoire de Mina
Mina est une femelle orang-outang qui a vécu dans le centre de réhabilitation de Bukit Lawang, elle est donc semi-sauvage. Il y a plus de 25 ans, un tragique événement s’est produit. Son bébé avait un problème. Un ranger a voulu essayer d’aider le bébé mais il était déjà mort. Mina a alors considéré que la mort de son bébé était dû à l’intervention du ranger. Depuis, Mina est agressive envers les hommes qui l’approchent (un ranger à d’ailleurs pu nous montrer sa morsure d’une rencontre avec Mina qui a mal tournée, il y a 7 ans). En réalité, si on la croise sur son chemin, elle exige un droit de passage qui se négocie en nourriture. Chaque ranger doit donc toujours avoir à manger avec lui au cas où.
Quand nous avons croisé Mina, à deux reprises lors de notre périple en jungle, elle était aux côtés de ses deux bébés (il est très rare qu’une orang-outang ait des jumeaux). Elle les protège d’autant plus depuis cette tragique histoire.
=> Saviez-vous que les femelles ourangs-outangs ne donnent naissance à un bébé que tous les 6 à 7 ans et qu’elles les allaitent pendant cette même période ? Elles n’auront qu’en moyenne 4 à 5 maternités sur leur vie. C’est dire la fragilité de cette population.
REUSE : Quand je croise un tel clin d’œil zéro dechet, je ne peux m’empêcher de le prendre en photo 😉
A suivre => woofing au Lac Toba