Après un séjour si unique au Lac Toba, allions-nous pouvoir vivre une nouvelle expérience aussi intense ? Notre itinéraire se prolongeait vers la vallée d’Harau, après une longue route et un passage à Bikkitinggi. Cette vallée réputée pour ses rizières à perte de vue ainsi que son peuple, les Minangkabau, société matriarcale où les richesses se transmettent de mère en fille, bien que ce peuple soit mulsuman. Au pied d’une falaise et de chutes d’eau, nos 4 prochains jours allaient plus que certainement nous apporter énormément de belles découvertes.
La Vallée d’Harau : au cœur des rizières d’un vert hypnotisant
Située 20 à 30 km de Bikittinggi, la vallée d’harau est un havre de paix. Jalonnée de falaises, de chutes d’eau et encerclées de rizières, cette vallée offre des paysages dignes de cartes postales. Le vert des rizières est tellement lumineux que l’on pourrait croire que toutes les photos prises ont été travaillées avec un filtre. Bordées de maisons en bambou aux toits de chaumes, ci et là, aux détours de balades à pied, en Tuk Tuk ou en moto, on aperçoit des buffles d’eau dans les rizières. Cette région abrite les Minangkabau qui sont connus pour être la plus grande société matrilinéaire du monde.
Lors de notre séjour dans la vallée d’Harau, nous avons séjourné chez Ikbal et Noni, les propriétaires de l’Abdi Homestay. Il y a quelques années, Ikbal ne proposait encore que 2 bungalows de bambou aux touristes. Aujourd’hui, il dispose de plus de 8 bungalows : pour 2 personnes, pour 4 personnes et même un plus grand pour les groupes. En plein cœur de la vallée, juste à côté d’une énorme falaise et d’une cascade, ce lieu invite au calme, à la détente. C’est aussi le premier lieu de notre séjour où nous verrons autant de « bule » (prononcé bulé, càd blanc) au mètre carré à Sumatra. Des français, des hollandais… Nous ferons la connaissance de Pauline et Julien ainsi que de Renaud et d´Isabelle avec qui nous passerons une partie de notre temps.
Chez Abdi, il y a des guides locaux qui participent à la vie de la homestay. Ils animent, ils aident pour servir le repas et ils accompagnent les touristes désireux de découvrir la région. Nous étions là pour 4 jours, l’occasion de nous poser un peu. Nous avons toutefois pris le temps de découvrir cette belle région, sa culture et son savoir-faire. Nous voilà donc partis, à bord d’un Tuk Tuk motorisé pour une journée de découverte des richesses de cette belle vallée accompagnés de notre jeune guide, Friki. Au programme : visite d’une ferme de dragon fruit (fruit d’un rose fluorescent), découverte d’une production de briques et apprentissage de la récolte du riz. De quoi nous rendre plus intelligent 😉
La fabrication de briques
Autant en Belgique, les constructions en matériaux durables ont le vent en poupe : maisons en terre-paille, en bois, habitats légers (tiny houses, dômes, cabanes, yourtes…). Autant en Indonésie, on est tout à fait à l’opposé. Les maisons en bambou, en tôles ondulées… sont petit à petit remplacées par des maisons en briques même si elles coûtent plus chers.
Dès lors des usines de fabrication de briques traditionnelles voient le jour. Nous avons pu en visiter une. En réalité, c’est tout petit, il y a 3 zones distinctes et plusieurs familles vivent de ce travail méticuleux :
- La zone pour travailler la terre : une quantité de terre d’argile mélangée à du sable est malaxée par la force de buffles d’eau (souvent loués car un buffle coûte plus de 20 millions de roupies, quasi impayable pour le commun des indonésiens). Les buffles tourneront la terre pendant 3 heures.
- La zone de façonnage des briques et de séchage de celles-ci : au moyen d’un moule en bois, les femmes se partagent le travail et façonnent à la main chaque brique. Celles-ci seront alors entreposées et séchées à l’air libre pendant quelques jours avant de passer au four.
- La zone de chauffe des briques (le four) : les briques seront mises au four pendant 10 jours. Ils utilisent la paille du riz (rien ne se perd) qu’ils brûlent. Quand les briques deviennent rouges, elles sont prêtes.
Les indonésiens rêvent de ces maisons en briques, qui deviennent très lentement le standard. Mais ces maisons coûtent très chers (coût d’une brique : 10.000 roupies). Même s’ils y trouvent un confort et le sentiment d’un accomplissement social, c’est souvent au détriment de la taille. Là où dans leur maison en bois, il y avait plusieurs pièces/chambres, dans les maisons en briques, l’espace y est beaucoup plus petit et peu cloisonné. Ils doivent dès lors vivre avec moins d’intimité.
La récolte du riz
Depuis longtemps, je me demandais comment on récoltait le riz. C’était un processus que j’ignorais totalement. En état au pays du riz, nous ne pouvions pas passer à côté de la découverte de la culture du riz. C’est un processus assez long et qui, à chaque étape, risque de ne jamais aboutir.
En Indonésie, on pratique la riziculture irriguée, c’est à dire inondée grâce à un ingénieux système de terrasses irriguées d’eau. La culture du riz exige beaucoup de chaleur et d’eau, raison pour laquelle on ne les trouve essentiellement que dans des régions (sub)tropicales. Sur une année, il y a généralement 3 récoltes de riz.
Plus le sol de la rizière est uniforme et bien labouré (au moyen de buffles, petit à petit remplacés par des tracteurs à 2 roues), plus le riz se développera bien.
Tout d’abord, on commence par les pépinières de riz qui permettent d’obtenir de petites pousses de riz à partir de grains germés. 2 a 3 semaines après, quand les plants de riz sont suffisamment grands, on peut les planter méticuleusement et de manière alignée (tel un damier) dans la rizière. Il faudra attendre 3 mois pour pouvoir enfin récolter le riz. Mais il faut faire attention aux invasifs. Dans le premier mois, les escargots raffolent des jeunes poussent. Au second mois, ce sont les souris qui peuvent détruire la plantation. Tandis qu’au troisième mois, les oiseaux aiment se régaler des têtes de riz. Autant dire que le fermier a du travail pour protéger sa récolte et, malheureusement, beaucoup ne peuvent se permettre d’acheter des filets car ils coûtent très chers.
Lorsque le riz est bien doré, il peut être récolté. Il faudra alors couper les tiges pour ne garder que les grains de riz encore enveloppés. Cela se fait soit à la machine, soit à la main au moyen d’un battage.
Les grains récoltés seront séchés pour après, au moulin, retirer l’enveloppe pour en extraire le grain de riz. Le résidu (l’enveloppe) sera alors broyée comme farine pour nourrir le bétail ou extraite afin de servir de combustible (comme pour les briques. Cf. ci-dessus).
Le riz compte plusieurs stades :
- Padi : le grain de riz sur pied, quand le riz est encore dans ses téguments (dans son enveloppe)
- Beras : il s’agit du riz qui a été séché et décortiqué. En fait, c’est le riz que l’on achète en magasin et que l’on doit encore cuire.
- Nasi : c’est lorsqu’il est cuit. D’oú le Nasi goreng (riz sauté), le Nasi putih (riz cuit blanc)…
Les Ben-hur des rizières
Une des techniques pour retourner de manière uniforme et qualitative le sol des rizières est d’utiliser des buffles d’eau. Dans la région des Minangkabau, une tradition pluriséculaire revient donc à la fin de la saison des récoltes : les courses de buffles, sport local s’alliant à l’utilité du labour de la terre. Cette course traditionnelle se nomme « Pacu Jati ».
Il est d’ailleurs intéressant de savoir que le nom « Minangkabau » veut dire « victoire de buffles » en indonésien. A croire que leur vie est rythmée par leur relation avec les buffles.
Ce spectacle surprenant est réellement unique en son genre. On croirait voir des Ben-hur de rizières se faisant tirer à la force de buffles puissants. Le principe est simple, au moyen de 2 buffles attelés chacun à un arceau en bois, le jockey doit tenir le plus loin possible sur les arceaux, la queue des buffles lui servant de gouvernail et de “changement de vitesse” (il mort dedans pour les faire aller plus vite). Il doit aussi tenter d’avoir la trajectoire la plus droite possible. Pas facile quand les buffles sont alors lâchés à vive allure dans la rizière inondée d’eau.
Sur base de la distance parcourue et de la trajectoire effectuée, les buffles seront alors évalués. Leur prix peut ainsi monter en flèche. Les jockeys peuvent quant à eux gagner jusqu’à 15 millions de roupies s’ils sortent vainqueurs du tournoi. Une somme non négligeable dans un pays comme l’Indonésie.
Cette étape a permis une nouvelle fois d’être au contact des locaux et de vivre le contraste énorme entre la vie des fermiers au métier éprouvant et celles des jeunes guides qui espèrent pouvoir profiter d’un avenir meilleur. Tous sont d’une hospitalité extrême.