8h15, il fait froid. La météo ne cesse de jouer au yo-yo et on ne sait plus comment il fera le lendemain. Je coupe le rond-point schuman en vélo comme tous les jours où je travaille. Je suis attentive à tout : les voitures, les piétons, les autres cyclistes. Cet axe est fort complexe même pour les habitués de la bicyclette.
Je le vois là, assis au sol sur son sac à dos. Emmitouflé dans son sac de couchage et dans sa veste. Seuls son regard et ses cheveux ressortent de cet amas de tissus. Il est adossé à la façade d’un immeuble, une pancarte en carton sur les pieds où il est inscrit « Aidez-moi ».
Il est l’heure d’aller vite au boulot mais aujourd’hui, je décide de faire demi-tour et d’aller à la rencontre de cet homme d’une trentaine d’années. La seule chose que j’ai à lui offrir est une poire et quelques pièces. Aujourd’hui, je veux offrir un peu plus de mon temps. Il m’émeut encore plus que les autres.
Il me raconte son histoire : « Je suis hongrois. Je ne parle pas français mais je parle parfaitement l’anglais. J’avais un boulot, vivais à Waterloo et tout allait bien. Jusqu’au jour où j’ai tout perdu, mon boulot, ma maison … je n’ai ni ami ni famille. Depuis janvier 2016, je suis dans la rue. Je ne veux plus aller dans les centres pour sans-abris car il y a de la brutalité, des vols. Je sais que les passants me prennent pour un alcoolique mais ça n’est pas le cas. Je dors ci et là dans des endroits comme des entrées de banques, d’immeubles. Malgré que j’ai payé toutes mes dettes et que je touche une petite pension du chômage vu que j’ai travaillé pendant plusieurs années (il sort sa carte Pole emploi et son Job Pass), ça n’est pas suffisant pour trouver un lieu où dormir. On me refuse sans cesse un logement car je n’ai pas de job. Mon seul désir est de trouver un emploi … Malheureusement, j’ai de plus en plus de doutes que ça arrive un jour. »
Je reprends mon vélo et je repars vers mon travail. Je ne connais même pas son nom. Je ne sais rien de lui. Je suis totalement chamboulée, les larmes aux yeux …
Aujourd’hui, la vie m’a donné une gifle.
Aujourd’hui, la vie me rappelle que notre système est fragile.
Aujourd’hui, je me rends encore plus compte de la chance que j’ai d’avoir un toit, une famille, des amis et un emploi.
Aujourd’hui, je ne vous parlerai ni de déchets ni de mon quotidien. Aujourd’hui j’avais juste envie de vous faire part de cette émotion si forte qui vit au fond de moi. De ce questionnement continu, de ce système qui s’essouffle et qui n’offre pas les mêmes chances à tous, de ce monde d’injustices et de pouvoir excessif.
Aujourd’hui, ne sera plus un jour comme les autres …
Bravo pour ce fabuleux demi-tour ! On se rend en effet rarement compte de la chance qu’on a. Mais pas toujours facile de démêler le vrai du faux chez les sans-abris. La pièce qu’on leur laissera sera-t-elle utilisée pour se nourir, survivre ou finira-t-elle au fond de la caisse d’un bar-tabac pour l’achat d’une bière ou d’un paquet de clopes ? L’hiver dernier, j’ai acheté deux cafés à la gare et les ai offerts à l’homme à l’accordéon qui rythme nos allées-venus le matin et à la dame sous sa couverture qui fait la manche. Un petit moment qui réchauffe le corps… et le coeur.
Le plus dur, c’est d’en croiser tant sur la route et de ne pas pouvoir tous les aider (les vrais SDF)
A la sortie du métro Madou il y a un monsieur adorable, tout maigre tout pâle, il a un emphysème le pauvre. Alors, en fonction de mes finances, je lui donne 2 € ou je lui paye un petit dej ou un repas chez exki. Mon mari lui file des clopes. Au début, je lui disais que ce nétait pas bien de faire ça pour la santé du monsieur et puis au final, il n’a peut être plus que ça comme râre petit plaisir, alors je le laisse lui donner une cigarette.